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    Lundi 9 Décembre 1801 :

     

    Je pars. Les officiers de la garde de la capitale sont venus toquer à ma porte ce matin, aux environs de huit heures. Ils se sont avancés sur le pas de la porte, et ont déclaré d’une voix grave que je devais partir faire la guerre avec tous les hommes aptes à la faire.

     

    Je m’en allai le lendemain, bagages en main et sur le dos, dans ce wagonnet minuscule où nous étions entassés tel les multitudes de galets que nous trouvions lorsque nous nous promenions, sur la plage de Stholk, avec ma fille. Ma fille… et ma femme. Je ne les reverrai peut-être plus jamais.

     

    A vrai dire, la mort me terrifie. Cette fin, ce point final, ce trait tiré, furtif, précis, rapide… Peut-être vais-je mourir dès le premier assaut. Peut-être que je tuerais quelqu’un, avant. Je pense aux « ennemis » qui doivent penser comme moi aussi, que cette guerre ne devrait pas avoir lieu d’être, que c’est injuste, ingrat. Mais sont-ils vraiment nos ennemis ? Avons-nous le droit de les considérer comme tel ? Ils ont seulement un point de vue différent du nôtre, et nous devrions nous entretuer ? D’ailleurs pourquoi faisons-nous cette guerre ? J’ai parfois l’impression d’oublier la raison de ce voyage vers la fin de ma vie. A vrai dire, j’aimerais oublier. Nous nous battons pour l’acquisition d’un territoire très convoité : la mer. Premier lieu où les échanges avec le reste du monde se déroulent, où toutes les marchandises sont acheminées dans la capitale et les autres villages. La région contre qui nous allons combattre, Penam, est une force puissante qui dispose de forts combattants et d’un matériel de défense –canons, fusil et autres armes à feu- d’un force inouïe.

     

    Je me rappelle de la dernière fois que j’ai serré ma fille dans mes bras, avant de monter dans le train. Je me rappelle ce qu’elle m’a chuchoté à l’oreille : « Survis. Pour nous. ». Je me rappelle qu’une famille, près de nous, pleurait. Je me rappelle que moi, j’étais sur le point aussi. Mais j’ai vu le sourire compatissant et bienveillant que m’offrait ma femme. Je n’ai pu que lui répondre. Notre façon de nous comporter était notre seul moyen de communication. L’atmosphère était trop tendue pour que nous puissions dire ne serait-ce qu’un « Au revoir », plutôt qu’un « Adieu ». Puis un homme est arrivé d’un pas rapide et a saisi un objet qui pendait, accroché à un cordon, autour de son cou. Un sifflet. Le sifflement strident qui retentit lorsqu’il le porta à sa bouche me laissa de glace, et un frisson parcourut ma moelle épinière, ce qui me fit sursauter. J’entendais cris et pleurs déchirant le silence qu’avait suivi le coup de sifflet. J’eus beaucoup de mal à retenir mes larmes. Je me retournais et montait dans le wagon, suivant mes camarades aussi déboussolés que moi. La guerre. Tu es parti faire la guerre. Je n’arrêtais pas de me le répéter.

     

     

     

    La guerre.

     

     

     

     

    La guerre.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La guerre…

    Décembre 2015


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